Une année mots pour maux - Septembre

Septembre, Chroniques aléatoires (Extraits)

 

Mardi 1er. Ciel voilé le matin, puis timides apparitions du soleil.


"Vous cherchez quelqu'un ? "


Forêt de Sénart. Un cycliste interroge deux agents de police en voiture.

C'est tellement insolite leur présence au milieu des arbres que forcément on s'interroge.

Ils cherchent Robin des bois. Un tricheur qui commence à trop les chatouiller.

J'entends ça qu'il mâchonnent.

Ils ont levé de telles poussières sur le chemin que je me sens obligé d'attendre sa remise en état pour pouvoir respirer librement.

Avec leur véhicule au milieu des arbres, on dirait deux femmes dans un harem d'eunuques, deux ministres, l'un de la culture, l'autre de l'éducation, jouant dans un cimetière à chat perché sur les tombes.

En rade au centre du carrefour, ils promènent en tous sens leurs yeux traqueurs et leur air d'égarés.

C'est la mort qu'ils traînent dans leur coffre, l'esprit chasseur d'intrus.

Et s'ils allaient, traversant les allées forestières, porter la poisse vénérienne avec eux, hein ?

Policiers tentés par le jouir du meurtre.

Comme me le dit Marie-Madeleine, au siège de l'ASM ( Allo ! Sauvez-Moi ! ) :


" On se demande d'ailleurs, si être à l'écoute de suicidaires ne veut pas dire que soi-même... "

 

Mercredi 2. Orages, ondées, pluies toute la journée.


"L'Etat ne devrait pas pouvoir déterminer la vérité, même s'il a raison".


C'est Noam Chomsky qui dit ça. J'ai reçu cette phrase au cours d'une insomnie particulièrement calamiteuse.

L'esprit ne voulant pas mourir, le temps d'une nuit, pour m'épargner le terrifiant de ses images.

Mon corps devenu gris. Mon sort devenu aigre.

Et l'odeur de caveau qu'on traîne à sentir noir se dessécher le sang.

J'ai mis de la lumière au-dessus de ma tête et j'ai lu mon journal mondain pestiféré.

Là, constatant que ça prenait, j'ai poursuivi ma lecture.

Finalement, j'arrivais à bien accrocher. Signe encourageant que j'étais encore d'aujourd'hui et qu'en moi mon époque était restée vivante.

En lisant sur les hécatombes des mots à faire gémir je nourrissais mon impression d'épargné.

Et je cherchais frénétique de ces rubriques avec morts foisonnants pour conserver mon avantage. Ainsi m'est revenu le sommeil.

Au matin, dans un ciel tout gris, on nous parle d'Hivernot à la TSF, avec des phrases à lui, du genre

 

"Je me sens comme un mort oublié par les autres à son enterrement."

 

Jeudi 3. Ciel chargé le matin avec de faibles pluies.


" Pouvez-vous me faire ça ? "


ai-je demandé à l'homme, un métèque ouvrier du bois. Ça travaille dur à l'intérieur du bruit, dans le sec des essences, l'envolée des copeaux. Odeurs mêlées du chêne, du hêtre et du pin.

La scie fait délirer une planche. De quoi pleurer sous l'effet du cri circulaire vous taraudant l'oreille.

Lui, cette frénésie-là, il aime. ( La preuve est qu'il s'attarde ). Sifflement purement technique, étranglement sans aucune cruauté, ni psychose.

L'habitude quoi. Il parle en gestes mesurés avec la matière. Comme un qui met des formes au monde : meubles, étagères, pied de lit. Un sage-homme du bois.

Et pour venir à moi il se déroute en quittant ses travaux.

Ce que je veux, dis-je en montrant un modèle, rien d'autre que ça, une queue de billard pour enfiler mes céphalokebabs au bout.

Impossible, qu'il me répond. Je n'ai pas ce qu'il faut et je ne peux pas tout. Ici, on n'est pas au concert. On batifole, on porte, on rampe, on marche d'escaliers,

mais pas d'embrochures masturbatoires. Ah ça non !

Comment faire ? Ma femme a perdu sa molaire, tombée de son pivot. Paroles du dentiste :


" La racine est pourrie, ça pue, c'est noir, c'est triste ".

 

Vendredi 4. Les belles éclaircies s'estompent où triomphent les nues.


" Absents pour le moment, nous vous rappellerons dès notre retour "
.


J'appelle un inconnu au téléphone, habitant un lieu énigmatique, introuvable sur carte.

Une voix de femme indéfinie m'offre de me dévoiler.

Je raccroche. Ce n'était pas pensée pour moi, mais pour n'importe qui. À peine un bras qui me fait signe au fond d'un trou.

Pour me sortir du piège, j'ai coupé net la rengaineuse, me faisant disparaître dans un mutisme absolument bien maîtrisé.

J'étais sûr au moins que la voix féminine ne parviendrait pas à me dénicher au plus mauvais moment de mes activités quotidiennes.

Il y a que je n'arrive pas, dans ce débat du clair avec l'obscur, à coller les mots aux images, à lier la figure et le fond, à marier la distance à l'instant.

Je voudrais vivre dans la parole, celle qui n'a point de mots, parler dans la satiété,

et non vendre ni entendre une cameloterie messagère,

mais baigner dans un silence intensément connaissant,

loin des bruits qui écorchent, des musiques à sauce piquante, des mélodies où se languissent les éplorés et les éploreuses. Le soir, au cinéma, on avait dû déprogrammer


"L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux."

 

 

 

 

 

 

Extraits : Voyages égarés

Fragments de figures apatrides 1 2 3 4 5 6

Le Peuple Haï 1 2 3 4 5 6 7

Une année mots pour maux Octobre 1 Novembre Décembre Janvier Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Septembre Octobre 2 Couverture

 

Accueil

Aide et téléchargements