Une année mots pour maux - Mars

Mars, Appartement 123 (extraits)

 

11 heures, au loin tout est bouché.

100. Radio
Matin tam-tam et tintamarre de mots sortis de leur boîte noire, semant dans leurs oreilles de ces rappels au monde urgents pour qu'ils se mettent en marche. Debout ! Debout !

101. Papier hygiénique
Denis a demandé que le papier soit doux. Sinon c'est l'irritation assurée, la râpe aux effets d'innombrables percées dans tout le corps. Alors qu'avec du ouaté, il peut donner libre cours à la poursuite de ses démangeaisons, jusqu'à ce qu'il parvienne à les écraser, là où la peau fait obscène, lisse, et si fine qu'une mouche y prendrait son repas de sang.

102. Toilettes
Lire, c'est là, quand nul intrus, pressé par le besoin, ne le menace d'un dérangement, là que Denis s'en donne à corps joie, et où l'esprit y a sa part pour peu qu'il tombe sur une page du Monde haute en analyses philosophiques comme hier celle qu'il put avaler sur l'art. De sorte que, dans les moments de lente décharge, il a l'impression d'ingurgiter du sens par le haut et d'en éliminer les scories par le bas. Il est vrai que souvent entre l'œil spirituel qui décrypte un texte et l'orifice anal le chemin lui paraît si court que toute lecture semble disparaître dans la fosse à oubli comme immédiatement.

103. Chaises de salon
Si hautes pour sa taille, que Denis avait dû raccourcir les pieds des six nouvelles chaises, mais de l'une plus que des autres. Or, celle-là ayant " tourné", lui échoit l'une des cinq indésirables, qui lui donne l'impression de manger perché comme un oiseau, même s'il repose davantage sur son train arrière que sur ses pattes.


104. Chaise du bureau
Sa chaise, quand elle est collée à sa table, crée avec ses accoudoirs un dispositif de serrage qui condamne son corps à l'immobilité, d'autant mieux qu'il a glissé derrière son dos un coussin fort épais qui réduit l'espace de son assise.

105. Bureau contre fenêtre
75 cm de table vernie entre lui et sa fenêtre. Et derrière elle, 10 mètres de vide. C'est dire que la table le sépare du vide et que Denis doit constamment l'alimenter, y dresser un mur de sens, faire des arrangements, combler, combler quotidiennement de bla-bla la surface de séparation pour éviter qu'il ne bascule dans l'envoûtement de l'effroyable.

106. Oreiller
Toujours trop chaud, toujours trop affaissé, ou trop doux, trop confortable, de sorte qu'il se lasse vite, que les angoisses remontent, qu'il tourne et retourne dans les miasmes de ses pensées les plus noires - mort, maladie, noyade en mer, respiration douloureuse, cécité, mutilation, cancers - et qu'il sent un besoin d'inconfort, de dureté, de frais.

107. Lit
Et quand il se lève, pour se rendre à la cuisine et boire un verre d'eau, c'est avec l'espoir que ça ne lui reviendra pas. Il se recouche, résigné, pressé que l'aube se manifeste au plus vite pour qu'il puisse commencer de se distraire en occupations serviles.

108. Table de nuit
Denis ignore le livre de chevet. S'il lui arrive de lire, c'est longuement en pleine nuit, pour se soustraire à l'agression d'images de plus en plus présentes, quand il a raté le coche d'une nouvelle tranche de sommeil.

109. Cuisine
Toute la cuisine à refaire. Aujourd'hui il se contente de boucher les trous. De temps en temps, une douleur saisit Denis aux reins. Il chancèle, se redresse, la douleur a disparu. Elle se cache.

 

 

 

Extraits : Voyages égarés

Fragments de figures apatrides 1 2 3 4 5 6

Le Peuple Haï 1 2 3 4 5 6 7

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