2) Les textes


Les routes sont les routes
Les hommes sont les hommes

Les hommes ont fait les routes
Les routes ont fait les hommes

Il n'y a pas de saison pour prendre la route
Quand c'est la route qui vous prend

Il n'y a que le désespoir vers un horizon de survie

Et dès lors on n'y va pas par quatre chemins
Si l'on ne veut pas mourir

Il faut mourir au monde connu
Et vivre à jamais dans la traque et l'incertitude


Chaque jour la traque et chaque jour l'incertitude

Étranger dans l'étrangeté du monde.

Ainsi et désormais

Toujours


1)
Victor Hugo écrit : L'exil, c'est la nudité du droit.

nu l'exil
nu et noir
parmi ces cadavres
des amis
mon père fusillé
le feu à notre maison
partir
partir comment
déserter sa mémoire
se cacher d'elle
le feu brûle ma maison
mon père fusillé sur-le-champ


Aram Djambazian, Suisse d'origine arménienne, raconte : En 1914, mon père a été mobilisé dans l'armée en tant que sujet ottoman. Mais on lui a donné une pelle et une pioche pour creuser des fosses communes dans lesquelles étaient jetés les corps des Arméniens. Parmi ces cadavres, il a reconnu certains de ses amis. Il a alors déserté et s'est caché chez lui. Des villageois turcs l'ont dénoncé à la police, et mon père a été fusillé sur-le-champ, sous les yeux de ma mère. Âgé d'un an, j'ai assisté à cette scène, caché sous les jupes de ma maman. Puis l'armée a mis le feu à notre maison.


2)
André Chénier, poète français écrit : seul, d'exil en exil, de déserts en déserts...

partir
s'arracher
vers le blanc
moi le nu et le noir
traverser les ponts
affronter les couteaux
enjamber la vue des hommes
jetant leurs enfants aux rivières
partir seul
et
de désir en désir
tuer
par l'éloignement au désert
tuer
la vue des couteaux
la vue des hommes
jetant leurs enfants aux rivières


Un villageois de la république démocratique du Congo raconte : J'ai vu les soldats rwandais attaquer les réfugiés au couteau sur le pont branlant qui enjambe la rivière Ulundi. Les gens ont pris leurs enfants et les ont jetés par dessus le pont. Les hommes ont pris leurs femmes et les ont jetées. Ils ont préféré tuer eux-mêmes leurs familles en les précipitant dans la rivière ou sur les rochers, sous le pont, plutôt que de les voir tuées par les soldats.


3)
Pablo Neruda, poète chilien, écrit : Nous demandons une patrie pour celui qui a été humilié.

Les bombes s'abattent
cinq morts
quatre morts
les bombes humilient
le sol la ville la mort
quitter ces lieux de missiles
quitter ces lieux homicides
cinq morts
quatre morts
nous demandons une patrie
pour nous protéger
nous demandons une patrie
contre les missiles


Maya, femme tchétchène, raconte : Je suis originaire de Chatoï. Je suis arrivée ici autour du 18 novembre. Le 14 novembre, une bombe est tombée à Chatoï. Le lendemain, le 15 novembre, quatre missiles sol-sol se sont abattus sur la ville, faisant cinq morts parmi les familles de déplacés et quatre morts chez les habitants de Chatoï. Le soir même, nous avons décidé de quitter les lieux : on ne peut pas se protéger contre les missiles sol-sol.

4)
Cioran, penseur d'origine roumaine, écrit : L'inconscience est une patrie; la conscience un exil.

toujours je serai
d'origine
je regarderai par la fenêtre
la rue
qui ne sera jamais ma rue
rien qu'un tracé
sur la carte de mon séjour
dans un monde
de peur
devenu froid
et le temps du pays
sera loin


Jorge, Argentin, raconte : À MASSY, au foyer de la Cimade (où on était accueilli pour six mois, le temps des démarches pour la carte de séjour), quand je regardais par la fenêtre de ma chambre qui donnait sur la rue, la vue était comme un dernier rempart contre la réalité et la peur d'un monde devenu très froid. A cette époque, je vivais dans une sorte d'amnésie permanente, je n'arrivais pas encore à réaliser à quel point le pays était loin.

5)
Un proverbe arabe dit : L'exil avec la richesse, c'est une patrie. La pauvreté chez soi, c'est un exil.

dans ma ville
je n'étais plus chez moi
ma ville
devenue prison
j'habitais la pauvreté
la plage était interdite
la mer était fermée
la mer
même la mer
patrie de tous les exilés
en déroute
ma mer s'était refermée


Ziad Medoukh, Gazaoui, raconte : Gaza, ma ville natale, je t'habite et je ne peux pas toute te voir. Gaza, ma ville méditerranéenne où je ne peux pas visiter ta plage. Gaza, ma ville, tu es la grande prison de cette planète.

6)
Platon, philosophe grec, écrit : La vie est un court exil.

moi
Noir d'Afrique
je serai toujours
de là-bas
déporté
sans retour possible
sans statut
ni refuge
toujours
dans le conflit
le temporaire
l'aide HCR
Mauritanien
Sans Mauritanie


Mamadou, mauritanien, raconte : II existe en Mauritanie un conflit entre les Maures et les Négro-Africains (dont je fais partie). Tous les responsables du mouvement des FLAM ont été arrêtés et condamnés. Nous avons protesté et créé une association de défense. J'ai été condamné en 1986 à quatre ans de prison. Quand je suis sorti, c'était le conflit avec le Sénégal et tous les Négro-Africains ont été déportés comme Sénégalais. Là-bas, nous n'avions pas le statut de réfugiés. Nous avons obtenu temporairement l'aide du HCR. Nos conditions pour un retour en Mauritanie ont été refusées. On ne pouvait donc pas rentrer et le Sénégal ne voulait plus de nous. En 1997, je suis venu en France, j'ai été accepté par l'Ofpra car j'avais des preuves de ma persécution. Mais beaucoup de mes amis Négro-Africains persécutés ne peuvent pas produire de preuves.

7)
Friedrich Nietzsche, philosophe allemand, écrit : La vie sans musique est tout simplement une erreur, une fatigue, un exil.

attendre
attendre la vie
me fatigue
car
être considéré comme un inférieur
est un exil
impossible à retourner
celui qui domine un pays
tue le droit
celui qui fuit ce pays
pourchassé
par l'erreur d'une différence
vit sans plus jamais trouver d'accord
avec lui--même


Najac, soudanaise, raconte : Le Soudan est un pays multiculturel, avec une majorité prédominante arabe. Cependant 40% de la population ne sont pas arabisés, donc sont considérés comme inférieurs. J'ai commencé à militer pour les droits de l'homme et le droit à la différence. J'ai fait mes études en France, puis je suis rentrée dans mon pays, mais désormais la charia y était appliquée. J'ai fui en Libye. Quand je suis retournée en 1985 au Soudan, impossible de trouver du travail. Je suis retournée en Libye, mais il y avait des accords entre les deux gouvernements et les opposants étaient pourchassés. Depuis 1995 je travaille ici à la Ligue soudanaise des droits de l'homme en France, en attendant la démocratie là-bas.

8)
Victor Hugo écrit : L'exil est une espèce de longue insomnie.

des menaces
gouvernent ma vie
je dois vivre
au présent
hors des miens
quel droit au travail
si le travail
ne fait plus mon avenir
hier ma vie se cachait
aujourd'hui
loin de mes sources
mon asile est précaire


Zoubida, algérienne, raconte : Comme artiste de cinéma et de télévision, j'étais menacée. On est venu chez moi et on a demandé à mon mari où j'étais. Je devais vivre cachée, déguisée. Ce n'était pas le gouvernement qui me cherchait mais des terroristes. J'ai donc fui en Tunisie. J'ai demandé l'aide du HCR qui m'a renvoyée chez moi. Je me suis de nouveau enfuie suite à des menaces visant mes enfants, puis j'ai contacté France-Algérie et j'ai pu entrer en France. A la préfecture on m'a proposé l'asile territorial, au bout de sept mois j'ai obtenu un certificat d'un an renouvelable. J'ai droit au travail mais je vis dans la précarité, je n'ai pas d'avenir et pas de ressources.

9)
Un proverbe russe dit : En pays d'exil, même le printemps manque de charme.

en mon pays
incarcéré
parce que j'étais
un autre
un fils de
quelqu'un
qu'on accuse
d'être
un dossier
judiciaire
et depuis
échappé de mon pays
tout pays
manque de charme


M.K., Rwandais, raconte : Je me suis réfugié en Tanzanie en décembre 2001 après que j'ai pu échapper de la prison de ma commune dans la préfecture de Butare où j'ai été incarcéré pendant 7 ans. Mon père était bourgmestre mais a été tué en 1994 quand le FPR a pris le pouvoir. J'étais l'aîné de la famille, j'avais à l'époque 15 ans, mais on m'a mis en prison parce que j'étais le fils du bourgmestre. Je n'ai jamais été accusé par quelqu'un et je n'ai jamais eu un dossier judiciaire. Puis-je retourner au Rwanda après un traitement tellement injuste ?

10)
Cioran, penseur d'origine roumaine, écrit : On n'habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c'est cela et rien d'autre.

France
pays de rapatriement
d'hébergement interdit
pays de cage
d'immigration
vers un lieu d'attente
de sortie principale
de langue
en voiture de police
frappée au sceau
de l'infernale
enfermeture


A.W., Haïtien, raconte : 10h du matin. Débarqué à Orly avec tous mes documents de voyage (passeport valide frappé du sceau de l'Ambassade de France en Haïti, certificat d'hébergement et autres) j'ai été interdit d'entrer en France par l'officier de l'immigration en poste. On m'a enfermé dans une cage dans un coin de la sortie principale de l'aéroport puis embarqué à bord d'une voiture de police vers un lieu où je devais attendre mon rapatriement vers Haïti. La communication téléphonique m'était interdite.

11)
Jean Ethier-Blais, poète et romancier canadien, écrit : La vie est un exil : chaque homme vit en lui-même comme en pays étranger.

vivre
de maux
et de pertes
entouré de scandales
les sœurs policières
poursuivaient
toute maquillée
en faisant
de toute femme
une étrangère
en son pays


Faranak, Iranienne, raconte : Une fois en 1989, pour me rendre à un mariage, je suis allée chez le coiffeur qui m'a fait une couleur et m'a maquillée. J'ai été interpellée à la sortie par une patrouille de sœurs Zeinab. J'ai produit un scandale, des gens m'ont entourée et se sont mis à contester les sœurs Zeinab (police des mœurs). J'ai profité de la situation et je me suis enfuie. Elles m'ont poursuivie avec leur voiture et m'ont renversée. J'ai reçu un choc terrible à la tête provoquant un coma. Des maux de tête et des pertes de mémoire sont encore les séquelles actuelles de cet affrontement qui m'a paralysée pendant deux ans.

12)
Nahabet Koutchag, poète arménien, écrit : Songeant à mon exil, je ne puis que m'asseoir et fondre en larmes.


maisons rasées
il faut partir
finie
la paix des troupeaux
finie
la vie au village
partir partout
et
loin du sol
à bombardements
m'asseoir pleurer
m'asseoir pleurer


Adam et Yare, Tchétchènes, racontent : Les bombardements sur Urus Martan ont commencé en septembre : un jour du début du mois, 20 maisons du sud du village ont été rasées. À partir de fin septembre-début octobre, les Russes ont commencé à utiliser des missiles sol-sol. Un de nos voisins a eu la tête arrachée par un missile alors qu'il allait chercher son bétail. Il avait trente-deux ans. C'est là que nous avons décidé de partir.

13)
Lamenais, auteur français, écrit : Il n'y a d'amis, d'épouses, de pères et de frères que dans la patrie. L'exilé partout est seul.

ne plus retourner
là-bas
chez mes persécuteurs
ni amis
ni épouse
ni père
ni frère
pas d'autre asile
pour la vie
que le risque
le danger
et partout
seul


Ômer D., raconte : Je suis de souche kurde Et en ce moment, je serais très heureux d'être accepté en France. Mais après avoir parlé avec mes compatriotes, je me suis aperçu
que la majorité d'entre eux avaient vu leur demande d'asile politique rejetée par l'OFPRA et qu'ils risquaient d'être expulsés vers le pays qui les avait persécutés. Je ne peux pas retourner en Turquie où ma vie est en danger.

14)
Marc Gendron, écrivain québécois, écrit : En exil partout chez soi.

cauchemar
très longs mois
d'une vie
envahie
l'angoisse
nous l'avons vécue
hébergés
dans le stress
le désir envahi
de loin
par
un pouvoir répressif
et compatriote


Un famille algérienne raconte : Intégrisme islamique et pouvoir répressif sont les raisons qui nous ont poussés à l'exil. Arrivés en France nous sommes hébergés chez un compatriote (moi, ma femme et nos trois enfants) dans un petit studio où les conditions minimales ne sont pas réunies. Nous avons vécu de très longs mois d'angoisse et de stress, notre vie habituelle dépassait de loin cette nouvelle situation. Quel cauchemar !

15)
Alfred de Musset, poète français, écrit : Les grands artistes n'ont pas de patrie.

raper
c'est écrire de la patrie
c'est grouper
des amis
autour du non
c'est déranger
l'État en place
c'est donner
aux chansons
d'affronter
un pouvoir
raper
c'est de la bienfaisance
racontée en musique

Ousmane, Mauritanien, raconte : En 1996, j'ai créé avec deux amis un groupe de rap que l'on a appelé BOB ce qui signifie "Bonne organisation pour la bienfaisance" et qui correspond aux initiales de nos trois prénoms : Bocar, Ousman,Boundaw. Rapidement, notre musique a commencé à déranger l'État. Nous étions le premier groupe de rap mauritanien à écrire des chansons engagées contre l'exclusion, la discrimination et les injustices du pouvoir en place.

16)
John Dos Passos, écrivain nord-américain, écrit : Vous pouvez arracher l'homme du pays, mais vous ne pouvez pas arracher le pays du coeur de l'homme.

battu
jeté
lancé
roué
pendu
sans rien me demander
des coups
le ventre
les côtes
les pieds
les parties génitales
bienvenue
décharges
tortures
menaces


Kazim D., d'origine kurde, raconte : Les yeux bandés, j'ai été battu : ils étaient plusieurs à me donner des coups dans le ventre et les côtes. J'ai ensuite été jeté dans une cellule sans aération. Après m'avoir laissé enfermé un certain temps, quelqu'un m'a lancé :" Bienvenue, cher communiste, tu vas voir, on va t'adorer, ici ! " Sans rien me demander, trois ou quatre personnes m'ont roué de coups de poing et de pied et m'ont pointé une arme sur la tête.
On m'a ensuite pendu par les pieds et envoyé des décharges électriques jusque dans les parties génitales. À tout ceci s'ajoutaient des tortures psychologiques et des menaces de mort.


17)
Victor Hugo écrit : Je mourrai peut-être dans l'exil, mais je mourrai accru.

un jour,
oui ce jour-là
ils avaient entassé leurs affaires
ils avaient laissé leur maison
l'exil
allait tout leur prendre
déportés
de ville en ville
je les regarde passer
un tel malheur
c'est sûr
ne risque pas de nous arriver

Hrant Sarian avait 14 ans quand il écrivit les premiers mots de son journal, le 11 juillet 1915 : Un jour, on a entendu dire que les Arméniens de Sabandja allaient être déportés vers Diachdjé. Comme le convoi passait au bout de notre ville, nous sommes allés les voir. C'était très triste. Les déportés avaient droit à une charrette par famille, ils y avaient entassé leurs affaires principales et eux allaient à pied. Ils disaient qu'ils avaient laissé leur maison et leur mobilier et que les Turcs allaient certainement tout leur prendre. Certains avaient déposé tous leurs biens à l'église. Je me suis dit qu'un tel malheur ne risquait pas de nous arriver, car Adabazar n'était pas un petit village comme Sabandja. Il y avait quatre paroisses et environ cinq mille familles.

 

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