Yevrobatsitintello (1)

Les meilleurs d'entre nous aiment à dégommer le site Yevrobatsi en le taxant de site intello, c'est-à-dire de site pseudo intellectuel, le o ayant ici valeur péjorative. Faute d'être dotés de réels moyens intellectuels et d'informations de première main pour être à même d'élaborer une critique objective, ils s'en tiennent au mot qui déclasse dans le but de tuer le méchant petit cafard, prenant le détail pour le tout, sans aucun souci ni de l'exhaustivité, ni des nuances. Car ce genre de travail intellectuel les fatigue, forcément. Pour marquer ce type d'attitude, on devrait évoquer le mécanisme génocidaire qui consiste à réduire l'autre à une injure (guiavour ! cancrelat !) avant de le supprimer. Ici, l'acte déterminant la suppression physique de l'autre n'existe pas. Mais cette suppression est d'ordre social et symbolique. Dénigrer revient à chasser l'autre de la conscience du groupe en se fondant sur les critères qui fondent ce groupe. Les Arméniens de la diaspora sont des experts en la matière qui prennent appui sur la défense frénétique de leur génocide érigée en principe d'unité et d'identité pour anathémiser ceux des leurs qui osent ouvrir des voies inhabituelles.

C'est ainsi que les mieux intentionnés de mes " frères " avec lesquels je partage le même -ian en fin de nom, dans un forum, ont déploré en ces termes : " l´éloge fait par DD à un représentant de la CRAT, un négationniste en puissance ", le fait que j'aurais décliné toutes les qualités d'un négationniste, en l'occurrence le rédacteur en chef du site Turquie Européenne. L'art du raccourci n'est pas un art mineur, je l'ai déjà dit, c'est un art tueur.

On ne saura pas où, ni comment, ni pourquoi je me serais abaissé à ce genre d'exercice douteux. À moins que l'auteur de ces mots ne s'appuie sur l'article que j'avais précédemment écrit sur le livre de Hrant Dink Être arménien en Turquie qui commençait ainsi : " Oui, excellente, salutaire et précieuse l'initiative conjointe de l'Association Turquie Européenne, de la direction du journal Agos et de l'éditeur Dominique Fradet qui a conduit à la publication, deux mois après son assassinat, des écrits majeurs de Hrant Dink, destinés à creuser le sillon d'une réconciliation des peuples arménien et turc par la mise au jour des obstacles, des incompréhensions et des nœuds de leur histoire. "

Si quelqu'un voit dans cette phrase un soupçon d'éloge d'un négationniste, je serais heureux qu'il me le montre du doigt. Mais que ne s'est-il étonné, notre Obélix pourfendeur de négationnistes, que Turquie Européenne ait été associée à Agos pour publier le livre de Hrant Dink ? La famille biologique et la famille d'esprit de Hrant Dink auraient-elles été à ce point aveugles pour fricoter avec un site négationniste ? Hrant Dink aurait-il été lui-même un négationniste qui, de son vivant, donnait ses articles à Turquie Européenne pour qu'ils paraissent en traduction française sur son site ? En tout cas, on est en droit de supposer que, par son geste, Hrant Dink affirmait sa confiance en la personne du rédacteur en chef du site Turquie Européenne. Qu'on m'explique alors pourquoi, lui qui était d'ordinaire si prudent, écrivait régulièrement sur se site ? Cela voulait-il dire qu'il avait une approche du rédacteur en chef que n'avaient pas ses " compatriotes " de France ? Qu'il avait sur lui des informations que les informateurs formatés de la communauté arménienne n'avaient pas ou ne voulaient pas avoir, pour mieux figer l'homme à une époque peu glorieuse où il défendait bec et ongles sa chère Turquie contre ceux qui avaient toutes les raisons de la haïr. Reste à savoir si un négationniste d'hier a le droit aujourd'hui sinon de se repentir pour le moins d'évoluer selon ce que lui dicte sa raison. Reste à savoir également si les Arméniens ont assez de psychologie et font suffisamment preuve de tolérance pour permettre à l'autre de se retourner et de voir en conscience le génocide tel qu'il fut et non tel qu'on le lui a enseigné.

Ce génocide a perverti le bon sens des Arméniens en ce qu'il les a entraînés dans les voies de la réaction épidermique. Dire de DD qu'il fait l'éloge d'un négationniste revient à effacer brutalement tout ce que ce même DD a écrit dans ses chroniques contre le négationnisme depuis les premières heures de Yevrobatsi. Sans oublier ces dizaines de fiches présentes sur ce site et sur son blog du Monde en ligne concernant le génocide. Nul ne s'est interrogé de savoir comment la même personne pouvait écrire et agir avec autant d'impudeur et de contradiction, alors que le moindre examen aurait permis de révéler au contraire une volonté de cohérence dans la parole et le geste qu'elle fait naître.

Cette tempête contre ma personne a été soulevée par une phrase écrite à la fin d'un article sur les élections en Arménie intitulé : " J'ai été observateur aux élections législatives en Arménie ". J'écrivais en effet : " Pendant ce temps, notre diaspora se distrait tragiquement avec son joujou de génocide 365 jours sur 365. Ce qui arrange en Arménie un pouvoir qui a tellement le souci du peuple qu'il trouve toujours le temps de mener à bien ses grandes affaires et ses basses besognes en toute quiétude. Qui répondra à l'appel pressant des citoyens manipulés, écrasés, résignés malgré eux et pour tout dire violés, en état d'exil politique permanent dans un pays où rêvent de vivre les exilés de luxe d'une diaspora coupable de rêver l'Arménie et responsable du mal-être des Arméniens ? Car ce n'est pas d'argent dont les Arméniens ont besoin, ce n'est pas de routes, ce n'est pas de boutiques de luxe, mais de démocratie, d'une démocratie vivante, transparente, humaine et souriante pour tous. "

N'en déplaise à ceux que cette phrase n'a eu pas l'heur de réveiller de leur sommeil génocidaire, je ne la renie d'autant moins que je suis moi-même un Arménien de cette même diaspora qui se distrait tragiquement etc… Que c'est moi-même que les intellectuels arméniens ont directement accusé en Arménie pour vouloir donner au génocide une importance propre à occulter le grave déficit démocratique qui affecte actuellement le pays. Non, cette phrase n'est pas honteuse sinon de cette honte que m'inspirent nos puristes thanatomaniaques qui négligent délibérément le vivant et laissent en souffrance les humiliations politiques que subissent les Arméniens d'Arménie. On ne me fera pas croire que l'identité arménienne est dans le seul combat pour la reconnaissance du génocide, même si elle exige de nous de rester en éveil 24 h sur 24 et d'explorer des voies nouvelles. On ne me fera pas croire non plus que le génocide ne soit pas instrumentalisé par les dirigeants d'Arménie pour qu'ils aient les coudées franches et trichent à leur aise à jouer aux cartes le contenu de la démocratie.


mai 2007

 

 

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