.
Publié sur Yevrobatsi.org le : 11-11-2006


.
Le 9 novembre dernier, l'Assemblée Européenne des Citoyens (Helsinki Citizens'Assembly ou HCA France) présidée par Monsieur Bernard Dreano, organisait au CICP, rue Voltaire à Paris, une rencontre informelle autour des expériences et des difficultés de dialogue arméno-turc.

Didem Ermis présenta l'expérience d'un séminaire Yavas gamats (nom composé de deux mots turc et arménien signifiant : doucement doucement) organisé l'an dernier en Turquie par les partenaires de HCA Turquie et de HCA Arménie.

Arthur Sakunts, animateur d'HCA Vanadzor en Arménie et directeur du journal Initiatives Citoyennes présenta à son tour l'expérience d'une rencontre avec des jeunes Azéris et expliqua en quoi le dialogue arméno-turc était important pour la paix dans la région.

Ont pris la parole, côté turc, Metin Umit, responsable de l'Association des Citoyens Originaires de Turquie et côté arménien, Jean-Claude Kebabdjian, président du Centre de Recherche sur la Diaspora Arménienne, le cinéaste Jacques Kebadian et nous-même, en qualité de rédacteur en chef deYevrobatsi . On pourrait souligner que la partie arménienne était composée d'individus se comptant sur les doigts d'une main tandis que la partie turque remplissait le reste de la salle, la réunion n'étant pas publique.

Que dire ? Que retenir ? Sinon l'impression d'une rencontre saine, ouverte, de quelques vétérans de la cause arménienne avec des jeunes Turcs ou originaires de Turquie dont on n'a pas su qui reconnaissait qu'il y avait eu génocide, qui non. Dès lors le dialogue était quelque peu faussé, tout en restant délicat et respectueux de l'orientation souhaitée par ce genre de rencontre, à savoir le genre Helsinki.

Pour notre part, nous avons félicité les uns et les autres, tant du côté arménien que du côté turc, pour leur volonté et leur courage à vouloir affronter au nom de la paix des tabous infranchissables. (Pour exemple, il faut savoir que les jeunes Azéris qui avaient rencontré des Arméniens avaient retrouvé leur portrait dans les quotidiens azerbaidjanais avec le mot traître pour toute légende).

Par ailleurs, nous avons fait remarquer que le dialogue était actuellement d'autant plus difficile que les jeunes Arméniens étaient surinformés sur le génocide, tant par les livres qu'ils avaient lus que par le traumatisme dont ils avaient hérité, alors que pour les jeunes de Turquie, c'était tout à fait l'inverse.

Ce qui nous a été confirmé en aparté par des participants qui reconnaissaient avoir été élevés par des parents qui ne leur avaient jamais parlé de génocide et qu'ils n'éprouvaient aucun sentiment de culpabilité. Mais aussi par cette anecdote : des jeunes Turcs qui s'étant trouvés mêlés aux manifestations de Lyon s'insurgeaient contre le fait que l'inscription sur les stèles de la mémoire stipulaient : " À la mémoire des 1 500 000 morts victimes des Jeunes-Turcs ", confondant Jeunes-Turcs et jeunes Turcs.

Nous avons également fait remarquer qu'au-delà de l'Europe, au-delà de la Turquie et de tout le reste, la jeunesse turque avait un devoir de conscience personnelle à assumer, celui de s'interroger et de s'informer, et que le dialogue entre les sociétés civiles de la Turquie, de l'Arménie ou la diaspora arménienne de France ne pouvait s'établir et progresser qu'à ce prix.

Conscient qu'au cours de leur processus éducatif les jeunes de Turquie n'avaient pas eu la possibilité de prendre connaissance de leur propre histoire, nous avons voulu faire comprendre que là résidait peut-être un début de faute individuelle. Sachant que nul ne pouvait faire l'économie de son histoire, et encore moins lui échapper.

Pour exemple, interrogé par une journaliste de Milliyet en présence d'une traductrice d'origine turque vivant en France, nous avons remarqué que ni l'une ni l'autre n'avaient lu quoi que ce soit sur le génocide, sous prétexte que ce genre de lecture était interdit en Turquie.

Et pourtant des ouvrages comme ceux Dadrian, Ternon ou même récemment celui de J.V. Gureghian (Le Golgotha de l'Arménie mineure, en turc : BABAMIN YAZGISI ) étaient bel et bien présents en Turquie, publiés par les soins de Ragib Zarakoglu.
Et pourtant, qui peut interdire en France à des jeunes originaires de Turquie la possibilité d'aller vers les livres écrits sur le génocide, qu'ils soient écrits par des historiens d'origine arménienne, français ou autres ?

Dès lors, à l'issue de pareille réunion, nous pouvons dire que les gens en présence ont apporté une pierre dans l'édifice d'un dialogue qui s'ébauche à peine mais qui semble prendre pied sur les bases saines d'une confiance mutuelle.

S'il y a malaise, il vient du déséquilibre profond entre cette surinformation traumatique qui habite les Arméniens de tous âges et l'aveuglement, pour ne pas dire le sommeil dans lesquels se complaisent les jeunes Turcs que nous avons rencontrés, sans pour autant vouloir faire de ce constat une généralité.

Nul doute qu'il existe un malentendu. Et s'il y a malentendu, il y a malentendants, lesquels ne sont pas forcément ceux qu'on croit ou qu'on accuse de tous les maux.

Les Arméniens, eux qui ont tant attendu et qui ont tant crié, qui aujourd'hui récoltent les fruits de leur patience et de leurs cris, ne devraient-ils pas entendre ce vide, cette ignorance volontaire ou pas, qui se trouvent en face d'eux ? Je ne parle ici ni de l'État turc, ni de ses sbires, mais des gens, des jeunes à qui il faut dire les choses, les dire bien, avec justesse et sérénité, même avec respect. Car les coups de boutoir, dans ce genre de rencontre, ne servent à rien.

On est donc en droit de se demander pourquoi les Arméniens de bonne volonté ne seraient-ils pas présents à ces rencontres avec des Turcs de bonne volonté, comme le font Didem Ermis et Arthur Sakunts, le HCA Turquie et le HCA de Vanadzor.
.

 

Novembre 2006

Yevrobatsi

Accueil

Aide et téléchargement


Vous avez dit dialogue ? Eh bien dialoguons...