"Le génocide des Arméniens" de J.B. Racine

Publié sur Yevrobatsi.org le: 17-11-2006

Professeur de droit privé à l'Université de Nice-Sophia Antipolis, Jean-Baptiste Racine, au cours d'un essai brillant et clair, sous-titré " Origine et permanence du crime contre l'humanité ", prend le parti d'examiner le génocide des Arméniens uniquement comme un objet d'étude juridique. Il insiste sur le fait qu'en raison de la responsabilité morale de l'État turc et au regard des revendications des descendants des victimes, le sujet appartient encore à l'actualité malgré le temps écoulé depuis 1915 en raison du caractère imprescriptible des crimes contre l'humanité comme le stipule l'article 1er de la Convention du 26 novembre 1968. Pour autant, il s'agit moins d'une affaire strictement communautaire que d'une question ayant un intérêt universel, moins d'une forme d'hostilité envers la Turquie et les Turcs que d'une réalité historique dans la mesure où, pour reprendre les mots de W-S Schabas, le génocide est " le plus grave des crimes contre l'humanité, le crime des crimes. "

Le caractère sans précédent des exactions commises en 1915 contre le peuple arménien jouera un rôle déterminant dans l'émergence de la notion de crime contre l'humanité en matière de droit international. Même si le concept n'apparaît qu'en 1945, elles ont permis de " forger l'antériorité de l'incrimination ", influençant Raphael Lemkin dans sa réflexion pour créer le mot génocide. Or, concernant les événements de 1915, puisqu'" aucun juge n'a dit le génocide " au cours d'un Tribunal international, ce sont les instances politiques qui auraient " joué le rôle d'énonciation normative dévolu aux instances juridiques " (Catherine Coquio). Par ailleurs, en reconnaissant le génocide, les États autres que l'État turc ont contribué d'une manière décisive à établir la vérité, créant ainsi une sorte de droit coutumier, indispensable pour déjouer les tentatives négationnistes.
Faute de juridiction internationale, il reste à l'État turc de reconnaître sa responsabilité morale et d'admettre la qualification de génocide au sens de la Convention de 1948. Il s'agirait d'une obligation sans sanction, assortie de regrets et d'excuses. Mais en l'état, il semblerait plus réaliste d'attendre une reconnaissance du génocide par la Turquie qui émergerait naturellement d'un processus démocratique. Il reste que l'obstacle majeur repose sur le fait que cette reconnaissance conduirait la Turquie moderne à un " reniement identitaire " dans la mesure où elle a justement été fondée sur le génocide des Arméniens. Mais dès lors, puisque " l'œuvre du droit est impossible ", on peut se demander si obtenir une repentance de la Turquie n'impliquerait pas par le même coup un pardon sans condition des Arméniens.

Pour autant, l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne sans la conditionner à la reconnaissance du génocide serait permettre la présence du négationnisme au sein des institutions communautaires. Reste à savoir si la Turquie a la capacité morale d'admettre les fautes de son passé, de manière à clore le chapitre ouvert de 1915. Dans le cas contraire, comme elle représente des enjeux commerciaux et politiques importants pour L'Europe, il serait seulement envisageable de lui accorder un statut de partenariat privilégié.

De fait, la permanence du génocide des Arméniens, loin d'être singulière, est la démonstration d'une " permanence du crime contre l'humanité et du génocide en tant que phénomènes politiques et sociaux. " Mais à partir du moment où les choses sont nommées en termes de droit, " cette qualification nouvelle est assurément un progrès." La mise en place d'un système normatif donne l'espoir de pouvoir ainsi dominer la propension humaine à recourir au crime. Si tant est que l'humanité soit " incurable ", faut-il pour autant se garder d'essayer de " construire un monde vivable, une terre habitable " ?

 

Novembre 2006

 

 

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