EREVAN FOR RÊVEURS (3)

Publié le : 24-06-2006

 


L'époque soviétique avait une odeur. Une odeur de peur et de crime. On respirait alors à Erevan un air idéologique qui vous entrait dans le sang. Dans votre cerveau nichait un oxygène délétère et caillé. J'enquête auprès de ces arbres qui auront vécu tous les froids, j'essaie de lire sur les façades ces restes de garde-à-vous stalinien, de deviner sous les porches ouvrant vers des quartiers inconnus du monde la mémoire olfactive de ce temps. Cette puanteur de cadavre à l'abandon recouvert d'aphorismes triomphants. On balayait alors les rues, on lavait à grandes eaux les trottoirs et les bitumes. La ville portait ses propretés comme un masque dissimulant pustules et pestilences. Des propretés malpropres qui semblent avoir disparu avec la rage et les magies de l'indépendance. Qui sont les mémoires offensées qui peinent à vivre aujourd'hui ? Les Arméniens ont à présent tant de vie à défendre, tant de plaisirs à prendre comme une revanche sur les affres d'hier, qu'ils n'ont pas la tête à dépoussiérer les archives qui sommeillent dans leurs caves. Mais dans la ville, les salauds auto-virginisés s'installent aux tables des terrasses et sirotent l'insolence d'une vie passée à se jouer de la vie des autres. Les bourreaux y côtoient leurs victimes sans se connaître mutuellement. Tandis qu'ailleurs, on veut savoir qui vous aura filé, quel commentaire soupçonneux ou dénonciateur était accroché à votre personne… Ici, en Arménie, l'incuriosité, le désintérêt, la maladie de la survivance renvoient aux calendes grecques la conscience des faits déshonorants par l'exhumation des archives staliniennes et soviétiques. Revenez demain, vous répondait le bureaucrate des questions embarrassantes.

 

 

 

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