EREVAN FOR EVER (2)

Posted on - 17-06-2006

 


" Gan'garoum gue gan'gnék ". Le corps qui vient d'émettre cet aphorisme urbain aux sonorités guerrières est celui de la femme sise à mes côtés, élégante habillée de mousseline et de gaze noire qui laisse parler sa peau. Proche de la cinquantaine, je le vois à sa main, à ses bijoux qui trahissent une époque lourde, tressée de complications bureaucratiques, à sa montre qui semble avoir battu le temps des grises résignations. Mais, nonobstant cette facture désuète d'un argent noirci dans les plis, le bracelet magnifie une peau qui appelle votre peau de sa chaleur de pain, où les veines ont des ondulations de collines toscanes. Elle est posée, cette main, sur le dossier du siège que des paumes ont marqué de leurs sueurs. Je ne vois qu'elle dans la boîte noire du minibus, je la fixe avec l'angoisse de qui va perdre un bien précieux. Au moment où la femme a demandé au chauffeur qu'on la dépose au prochain arrêt, le temps m'est devenu menaçant. C'est qu'il devait m'ôter cet instant de chair ciselée, cet oiseau exotique enfermé dans une cage et qu'agresse le boucan, les âcretés du moteur, les jurons du chauffeur, les sarcasmes de la ferraille malmenée par les soubresauts dus aux chaos des asphaltes. Or, jamais je n'aurai entendu ce " Gan'garoum gue gan'gnék " dit comme sur une scène d'opéra, dans des sonorités qui vous ouvrent tout à coup aux vertiges de l'arménien, langue épaisse de guerrier, mais qui peut aussi se décliner selon toutes les modalités de la vie humaine, des plus dures aux plus divines.

 

 

 

Erevan for rêveurs/Erevan for ever

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