EREVAN FOR EVER (12)

Publié le : 26-10-2006


Le trouble-fête, barbu jusqu'aux yeux, voilà qu'il entre par effraction dans les paroles que m'adresse le bouquiniste de la rue Abovian, et lui dit tu vois, lui mettant des photocopies sous le nez, tu vois ce portrait de De Gaulle en casquette de général, si tu m'en trouves un qui soit en pied et en uniforme comme ça, je suis preneur. Tu me téléphones, je cours. Cherche dans tes bouquins. Tu devrais avoir ça, non ? Parce que tu comprends, on vient de me commander sa statue. Le mois prochain ou plus tard, ça doit être exposé dans les Jardins du Luxembourg à Paris. J'ai déjà Napoléon. Et maintenant, il me faut De Gaulle. Aznavour sera entre les deux. D'un côté, Gomidas, Antranik, Njdéh, de l'autre Napoléon, Aznavour, De Gaulle. Je lui demande mais de quelle taille son Aznavour. De la même que Napoléon. Vous êtes sculpteur ? Pas tout à fait. Á l'origine, j'étais simple photographe, mais je me suis mis à la sculpture. En fait, ce n'est pas exactement de la sculpture. C'est quelque chose qui serait trop long à expliquer. J'ai inventé ça moi-même. Si ça vous intéresse, vous pouvez me rendre visite à mon atelier. J'habite Avan, Je m'appelle Victor.

Je m'y suis rendu. J'ai vu. J'ai mouru…

J'avais deviné à ses vêtements, sa barbe, ses yeux, et même à son esprit que Victor avait quelque chose à voir avec la ferraille. Mais quoi ? Il a son atelier sous les combles, au-dessus de son appartement. Tu entres, tu es saisi. Du jamais vu. Napoléon tout entier dans son ventre, Gomidas tout entier dans sa soutane, Antranik tout entier dans son uniforme…. Tous quintessenciés, transparenciés, réduits à l'épure de leur histoire. Mais Aznavour ? Pas d'Aznavour tout entier dans ses décorations ! Pas encore. Victor donne forme à ses héros dans un tissu en mailles de fer avec quoi on fabrique des cages pour protéger son fromage contre les mouches. Les yeux, les plis des visages ou des vêtements sont marqués gris ou blancs. Ensuite, ses personnages coupés dans leur hauteur sont plaqués sur un fond sombre. Mais pourquoi Aznavour ? je demande. Vous croyez qu'il est de taille à côtoyer Napoléon le petit et l'escogriffique De Gaulle ? Aznavour, qu'il me dit, Aznavour symbolise les Arméniens de la diaspora ! Comment, je lui fais, mais je veux pas, moi, qu'Aznavour me symbolise ! J'en ai même assez de l'entendre parler pour moi en son nom propre. D'ailleurs, m'avez-vous demandé la permission ? Tant pis qu'il me fait. La décision est prise. Une décision nationale, patriotique et esthétique. Napoléon, Aznavour, De Gaulle seront bientôt dans Paris. Vous n'allez pas en faire un fromage, tout de même !

PS. Le lecteur voudra bien ne pas rire. Qui à Paris sera, verra.

 

 

 

 

 

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