Une Nôtre Biographie

Je ne me souviens pas du 24 avril 1915, où la mort prend naissance dans ma mémoire.

Ni du 19 mai 1942, où naît Denis Donikian, sous le signe si déplaisant des tautophonies qu'il cherchera sa vie durant à fuir tout système répétitif aussi vainement que l'âne qui voudrait changer son braire i-an en chant séraphique.

Le Rhône coule encore les jours les plus heureux de son enfance. En recevant les déchets d'après-guerre, ses rives deviennent un lieu de fouille idéal que même un dictionnaire pourra s'y dénicher. Lônes, luxueuse végétation, digue forte, pêches, baignades et cabanes.

Le Kemp, c'étaient des bâtiments d'usine affectés au logement de réfugiés arméniens. Les échos d'une même langue venue de tous les coins d'Anatolie s'y répercutaient comme en vase clos. Le cadre de ses jeux. Avec Pascal dit Atune pour Haroutioun, son ami de toujours.

Des baignades à Levau, je ne me souviens que de Jacqueline, tellement attendue, qu'apercevoir sa silhouette déambuler au bord du grand bassin, sous le soleil, suffisait au bonheur de la journée.

Au collège de Sèvres, le vol des lucanes en juin, l'odeur des frites le samedi, les grands départs vers les grandes et petites vacances. Debout sur les toilettes, j'ouvre la petite fenêtre et c'est Paris tout entier qui vibre au fond dans la nuit...

Les tombes du cimetière de Vienne aux noms familiers ou inconnus montent vers les hauteurs dominées par la chapelle de Pipet. Très tôt j'ai reconnu la mort sans y croire.

L'affichette, Deuil national arménien. Fermez votre magasin, s'il vous plaît, monsieur le compatriote ! Et montrez-leur que vous vous souvenez d'où vous venez.

1969 : Arménie, le lieu commun. La chair cousine. Les écritures secrètes. Le Mont. Toujours le Mont et de partout. Contemplé comme un déchirement.

1972 : Du haut du Musa Dagh, en Turquie, un platane immense et puissant domine le golfe d'Alexandrette. Le témoin végétal du siècle, beau comme un arbre élu.

Kiev, spectateur du figé. Viet Nam : spectateur du cataclysme.
J'ai retenu une danse qui m'a filé entre les doigts.

Tbilissi : Paradjanov, artiste visité (1980). Oui, il m'a offert le spectacle d'un créateur en acte. Il m'a offert de tout essayer. Il débordait l'ordinaire de la vie.

1981 : Cambodgiens réfugiés en Thaïlande, couchés sur leur lit de camp, une nôtre histoire.

1996 : Nous sinuons dans le Sinaï, puis remontons jusqu'aux sources d'une île, où Dieu se serait dit aux hommes.

1999 : une nuit qui fut strombolienne…

Mon atelier au fil de l'eau. La Seine est proche et s'éloigne sans se lasser.

 

Copyright Arlette Kotchounian 2003©