Soyons pédagogiques (2)

Posted on - 27-10-2006


Dans ma dernière chronique de l'année 2004, intitulée Soyons pédagogiques, il m'avait semblé urgent et nécessaire d'écrire ceci : " Par ailleurs, il serait opportun que ces informateurs pédagogiques soient eux-mêmes non seulement mieux informés sur les réalités historiques du génocide arménien et des génocides en général, mais aussi formés aux techniques négationnistes pour les désamorcer en tous lieux et en toutes occasions, oralement ou par écrit. Que les historiens, les psychologues, les juristes et les journalistes, arméniens d'origine ou non, se sentent partie prenante de cette tâche et soient sollicités pour apporter leur concours. Car les fautes, dans ce domaine, ne pardonnent pas. Elles se répercutent aussitôt sur toute la communauté de façon irréversible.

Enfin, si les livres et les sites ne manquent pas comme outils d'information, force est d'admettre que fait cruellement défaut sur le génocide arménien un matériel pédagogique fiable, moderne, ouvert, pratique, scientifique qui puisse servir à n'importe quel intervenant dans n'importe quelle situation. "

Le vote positif à l'Assemblée sur la pénalisation du génocide a déclenché non seulement une contre-offensive négationniste violente mais surtout une hostilité sournoise de la part des médias et des intellectuels français. Sans être obligatoirement pro-turcs, journalistes et intellectuels ont l'art de brandir leur culture du scepticisme et de ratiociner avec les faits pour montrer qu'ils ne s'en laissent pas conter. Quant aux Arméniens, enfermés qu'ils sont dans leurs certitudes et leur culture du génocide, pour ne pas dire leur bon droit, ils sont vite désarmés face aux questions saugrenues de leurs interlocuteurs. Si la bataille de la pénalisation semble avoir été gagnée au moins pour l'instant pour avoir fait sortir de l'ombre le génocide de 1915 et l'installer dans le débat public, la phase médiatique reste à conquérir. Il ne s'agit pas ici de contrer la mauvaise foi des négationnistes turcs ou pro-turcs, mais de convaincre sur le plan des faits non seulement les journalistes et les intellectuels, mais aussi les Français qui veulent savoir et que chaque Arménien est appelé à côtoyer dans sa vie quotidienne. Or, les Arméniens n'ont souvent du génocide qu'une connaissance " sentimentale " , fondée sur des approximations, au point qu'ils ne parviennent pas, devant un profane curieux, exigeant ou sceptique, à démontrer que les événements de 1915 furent un génocide.

Je ne souhaiterais pas ici m'autocongratuler, mais les chiffres parlent d'eux-mêmes, ainsi que les témoignages. À la suite du vote à l'Assemblée, le nombre de visiteurs de mon blog du Monde intitulé Petite encyclopédie du génocide arménien a quadruplé, tandis que certains commentateurs reconnaissaient le sérieux et le bien-fondé de l'entreprise. De fait, à l'origine, ces fiches, parues sur le site de Yevrobatsi, voulaient répondre au souci pédagogique contenu dans la dernière chronique de 2004. (C'est d'ailleurs ainsi que nous comprenons le travail d'Atom Egoyan avec son Ararat, celui de Serge Avédikian avec son film Retourner, celui d'Imprescriptible, celui des associations ARAM, CRDA et de bien d'autres).

S'il reste encore beaucoup à faire avec ces fiches, l'essentiel s'y trouve pour qu'elles puissent aider à construire et étayer une argumentation historique, leur mérite étant d'offrir au lecteur pressé, un éclairage précis sur une question donnée du génocide, un point d'histoire, un livre, un personnage. Moi-même, il m'arrive d'y recourir quand je suis appelé à évoquer le génocide, histoire de revenir aux faits et de m'y tenir. Chaque Arménien devrait faire de même afin de porter aux hommes d'aujourd'hui ce qui fut la souffrance réelle des Arméniens en 1915. Non pour ressasser le passé et nourrir le ressentiment, mais pour construire une Europe qui ne soit pas de dissimulation, de non-dit et de sourde hostilité.

Mais il ne suffit pas de connaître, encore faut-il convaincre. Or, la persuasion est un art qui s'apprend. Il est évident que les Arméniens devront porter la parole du génocide devant les médias, aujourd'hui et de plus en plus. Il faut en finir avec les cris d'indignation et de révolte, qui déconcentrent le dialogue, créent un climat électrique et ne permettent pas de toucher l'autre. Ceux parmi nous qui " passent " le mieux dans les médias et qui sont à la pointe de ce combat médiatique ont une lourde responsabilité. Ils sont non seulement les porte-parole de tous ces Arméniens de l'ombre qui œuvrent dans le sens de la reconnaissance, mais aussi les porte-parole de nos morts et de notre histoire. La moindre erreur peut être fatale et ils n'ont pas droit à cette erreur-là. Ils ne parleront pas en leur nom mais au nom de tous.

C'est pourquoi il convient de les choyer comme des reines par les ouvrières d'une ruche. Eux-mêmes devront s'informer sans cesse, prévoir les questions, prévenir les coups bas, déjouer la mauvaise foi et piéger les sophismes des adversaires tortueux. Mais nous savons que la connaissance n'est rien sans l'apprentissage, l'entraînement ou le conseil. Pourquoi dès lors, ne pas constituer des équipes autour de ces personnes destinées à les accompagner, ne pas demander le secours de professionnels de la communication, en somme ne pas les former à la maîtrise de soi et aux joutes oratoires comme le faisait ou le fait encore le parti communiste avec ses militants ?

Enfin, si la cause arménienne est la cause de tous les Arméniens, il convient que les Arméniens se familiarisent eux aussi avec les mécanismes du dialogue. Trop souvent épidermique, avec des emportements, des débordements qui ne conduisent qu'aux ruptures, l'échange vire rapidement au pugilat verbal. Entre eux-mêmes, les Arméniens se déchirent, chacun prétendant être le meilleur garant de la mémoire, du droit, et tutti quanti… Sans oublier, qu'avec les Arméniens, tout Arménien est le traître d'un autre, et réciproquement. Pour tout dire, nous ne sommes pas préparés à la discussion constructive et sereine. Or, il est temps de s'y mettre. Il est temps de savoir que la cause arménienne est bien la cause de tous les Arméniens et que les Arméniens doivent aujourd'hui se donner les moyens de réussir le combat de la persuasion par un usage approprié des faits historiques et surtout une meilleure connaissance des subtilités négationnistes.

Il revient aux personnes compétentes, aux associations, aux journaux, aux responsables, aux maisons de la culture, aux auteurs, aux sites Internet d'œuvrer dans ce sens, celui d'une aide à la pratique du dialogue, à la présentation des faits, à l'apprentissage du respect et de la persuasion.

Octobre 2006


 

 

Yevrobatsi

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