Affiché sur Yevrobatsi.org le 25 février 2005

Elles ont marché des jours et des jours et des jours, des jours aussi longs, aussi lents, aussi lourds que des années. Sans leurs hommes qu'elles croyaient rejoindre et qu'on avait tués. Leurs biens dans des charrettes, on les leur a pris. Leurs enfants, quatre, cinq et parfois six, elles ne pourront plus les nourrir. On les leur prendra et ce sera tant mieux, surtout leurs filles. Les autres, elles les abandonneront sur place en se couvrant le visage, en se bouchant les oreilles, en marchant droit devant pour ne pas entendre leurs cris, pour ne pas boire leurs larmes, pour ne pas voir leurs yeux les cherchant dans le vide flagrant qui les écrase tout à coup. Comment auraient-elles pu les nourrir, avec quoi, sur ce chemin vers nulle part, à la merci de leurs protecteurs violeurs, tueurs, menteurs, voleurs, bourreaux ? À la merci d'autres tueurs, violeurs et prédateurs. Elles ont tout épuisé et sont épuisées elles-mêmes, elles sont décharnées et la mort a déjà pris la forme de leur corps, elles ont tellement de souffrance qu'elles ont perdu tout sens de pudeur et de maternité. On a fait d'elles des mères qui noient leurs enfants de leurs mains.

En 1915, les femmes arméniennes ont incarné la souffrance, toutes les souffrances de la nation arménienne, pour avoir dû trahir leur corps, trahir leur mari, trahir leur pudeur, trahir leur religion, trahir leur maternité.

Aujourd'hui, en Californie, de jeunes Arméniennes vont marcher aussi du 2 au 21 avril pour symboliser la marche à la mort de ces femmes. Même si l'insécurité, la menace, la faim, la soif, la souffrance morale, la perspective de la mort ne seront pas du voyage, la mémoire de ces mille convois vers le désert, 90 ans après, suffira pour dire au monde ce que les marcheurs d'aujourd'hui auront à rappeler sur les déportés d'hier, sur leur soif, sur leur faim, sur leur souffrance morale et physique, sur l'insécurité, sur la menace permanente, sur l'épuisement permanent.

Si marcher pour un Arménien, c'est se rappeler, alors pourquoi pas nous en France, du 2 au 21 avril, à l'unisson des Arméniens d'Amérique contre l'amnésie des États prédateurs de peuples et de leur histoire ?

 

février 2005

 

 

 

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