Celui qui oserait considérer comme assommant le devoir de ian-ianiser à mort une fois l'an à la date du 24 avril ne saurait être des nôtres. Tant que les morts de 1915 ne seront pas reconnus comme les victimes d'une discrimination arbitraire par effacement absolu, les Arméniens majuscules ne sauraient trouver de repos. Comme les chasseurs ont leur jour d'ouverture, les Arméniens ont leur journée de tir aux pigeons symbolisant leur rage dedans. Ils crachent tout ce qu'ils ont accumulé, en 364 jours, de rancœurs, rancunes et ressentiments devant l'obstinée mauvaise foi des coupables. Quels coupables, me direz-vous ? Mais, ceux-là mêmes qui ne rougissent pas aujourd'hui de perpétuer le génocide rouge des années 15, dont le 24 avril fut choisi comme date de naissance ! Certes. Cela nous vaut de monstrueuses démonstrations, ritualisées comme une irritation chronique, messe chantée, dépôts de cris en thèmes attristés, disques courts à ficelles ou officiels sophismes, et durant les années fastes, érections statuaires qui fassent au ciel monter nos cœurs en manière de requiem. Sans oublier les défilés de telle place en ian à telle rue en 4, de telle star en stuc à telle stèle en stress, avec variante ici ou là, pour ne pas avoir l'air répétitif ou obsessionnel, mais plutôt dérouter Monsieur Dupont qui avait la fâcheuse habitude de lire son calendrier en regardant la transhumance arménienne passer sous ses fenêtres. Ce jour-là, la France, compassionnelle et passive, martèle le droit à l'adresse des victimes et le faucille en coups tordus le restant de l'année. Tandis que les mécréants de l'humanisme, légalistes négateurs perpétuant leurs pères d'yeux noirs et chromosomes, urtiqués de nos cris à peine ce jour-là, ne se grattent pour autant ni la tête ni l'esprit. Et pour ce qui est de la conscience… En aurait-il, de la conscience ? Mais tout homme est doué de conscience ! Si ce n'est au moment où il tue un autre homme, elle lui vient tôt ou tard. La victime finit toujours par réveiller son bourreau. C'est le rôle du mort de réveiller la conscience de son meurtrier. C'est ainsi que le monde des vivants et le monde des esprits se réunissent. Ils sont unis par le lien sacré d'un mariage, soudés dans un même dessein, celui d'humaniser l'humanité. Qu'est-ce que vous croyez ? Ces Arméniens commémorent sans relâche, le même jour de l'année, depuis 89 ans, avec une si obsédante obstination qu'on croirait qu'ils sont nés pour quelque chose d'autre que la seule reconnaissance de leur génocide. La reconnaissance n'explique pas tout. Les Arméniens défilent pour quelque chose qu'ils ne savent pas. S'ils commémorent leurs morts beaucoup, c'est bien que les anime une force spirituelle bien plus qu'un simple devoir de deuil. Et ce n'est donc jamais assez que ces commémorages annuels et péripathétiques. Car, dans le cas arménien, pour que le quantitatif se mue en qualitatif, il faut que la victoire se fasse jour au moment où le peuple bourreau se sera enfin réveillé à la conscience de son crime et à celle du repentir. C'est pourquoi, en vérité je vous le dis, celui qui oserait considérer comme assommant le devoir de ian-ianiser à mort une fois l'an à la date du 24 avril ne saurait être des nôtres, c'est-à-dire un homme parmi les hommes marchant vers leur humanité. Amen !

 

Avril 2004




 

 

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Sommes-nous suffisamment d'assommants commémorationnistes ?