Une France du soupçon


Nous le savons tous. Nous vivons à l'ère du soupçon, de la méfiance et de cette précaution dont on a fait un principe. Toute société, riche de préférence, est mise au défi de se défendre contre les songes et mensonges venus de l'extérieur, ces émigrés que la faim chasse hors de leur pays, quand ce n'est pas les fous qui font régner sur la population une inhumaine absurdité.

D'accueillante, la France est devenue soupçonneuse. Les travailleurs immigrés en situation régulière qui voudraient faire venir leurs enfants devront désormais - selon les modalités définies - en passer par les fourches caudines des tests de filiation biologique. Seul un pays policier ou en voie de l'être s'autoriserait à admettre pareille intrusion de la science dans l'affectif.

On peut reconnaître à un État le droit d'appliquer le Droit jusqu'au bout et de s'en donner les moyens. Mais le principe de précaution vaut ici dans la mesure où les hommes chargés d'appliquer une loi sont souvent les premiers à la détourner, à en mésuser et en abuser sans raison, sous le seul prétexte qu'ils sont derrière un bureau et qu'ils ont de ce fait un pouvoir de vie ou de mort sur l'autre, l'étrange étranger, qui se trouve devant eux.

Pour autant, le biologique n'est pas toujours la garantie du lien familial. Tout le monde connaît des membres de familles biologiques qui se regardent comme des ennemis ?

À l'inverse, je sais tel couple de Français ayant adopté un enfant à problèmes, dont les preuves d'amour et d'attachement envers lui n'ont rien de biologique.

Je sais aussi telle Rwandaise, réfugiée en Belgique, qui doit à l'impéritie criminelle de la France d'avoir perdu ses trois enfants, son mari, son frère et ses sœurs, et qui, pour les avoir adoptées, s'occupe de ses trois nièces orphelines, tout en parrainant une vingtaine d'autres enfants sans famille au Rwanda, comme s'ils étaient sa chair, comme si elle était leur maman. Où est le lien biologique dans tout ça ?

Mais parlons aussi des membres de familles dites recomposées que les tests de filiation biologique, s'ils leur étaient appliqués, montreraient du doigt. Le caractère légal du non biologique en France en matière de famille serait-il frappé d'imposture à nos frontières ? Que cherche donc la France en exigeant des étrangers ce que les Français n'appliquent pas chez eux ?

(Cette recomposition est d'ailleurs en bonne voie pour devenir, au-delà des brassages ethniques, qu'on le veuille ou non, une recomposition métissée. La vie amoureuse étant plus subtile que la bêtise idéologique, plus irrespectueuse des frontières que les lois et leur administration, plus empreinte de fantaisie que de rationalité orwellienne, je soupçonne que les temps à venir devront étonner ceux qui les connaîtront.)

Les pays d'Afrique et d'autres n'ont pas la même conception de la famille qu'en occident. Qu'on imagine un Français d'origine malienne dont le frère viendrait à mourir au pays et qui se trouverait dans l'obligation morale, pour ne pas dire coutumière, d'adopter ses neveux ?

Qu'on imagine aussi un homme épousant au pays une femme ayant eu des enfants d'un premier mariage ?

Le biologique n'a rien à voir avec les sentiments. Cette loi est scélérate en ce qu'elle réduit l'humanité à des principes naturels et fait fi de ce qui la distingue des autres espèces vivantes, la culture. Cette culture, multiple, plurielle, dont on dit qu'elle est la richesse d'un peuple, si tant est que ce peuple qui la pratique évite d'en faire une prison dorée destinée à l'exercice d'un narcissisme ethnocentrique.

D'accueillante, la France est devenue déchirante. Et de généreuse, elle se mue progressivement en une France du soupçon. Je sais bien que les lois sont nécessaires. Mais gare aux lois françaises qui réduiraient la France à une culture du rejet, de la fermeté, de la fermeture.

juin 2007

 

 

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Photo : Les Sarkozy : Première famille (recomposée) de France.