1) L'Installation

d'exil en il.
(Pourquoi et pour quoi ?)



Le festival DÉSALIÉNER me demande de faire une installation dans la pièce d'un Château sur le thème de l'exil. Je visite plusieurs fois cette pièce, j'en prends toutes les dimensions, je respire son atmosphère. Deux grandes fenêtres donnent sur un parc vaste et profond. Une cheminée en marbre rouge pourrait y engloutir un homme debout. Trois énormes portes. Des lambris, des stucs, des poutres peintes, un goût d'ancienneté et de haute tradition. Dans mon esprit, la pièce reste vide longtemps. Impossible de m'y mettre. Et puis, au fil des jours et des semaines, des objets ont pris place, d'autres les ont remplaces ou déplacés, certains voulant s'installer au Château de force, d'autres perdant l'espoir d'y pénétrer jamais. Finalement, et pour être court, voici le descriptif de mon occupation du lieu.

1 - L'installation se lit à plusieurs niveaux, dans le sens spatial et interprétatif du terme. Plusieurs cercles concentriques, visibles et invisibles, s'inscrivent dans le volume de la pièce, pour simuler le parcours de l'exilé, cheminant d'un enfer réel vers un lieu d'accueil aussi improbable que magique.

2 - Sur la partie la plus éloignée du centre, aux quatre coins de la pièce figurant les quatre points cardinaux, se trouvent, au sol des formes humaines recouvertes d'un drap, et au-dessus, suspendus au plafond par des fils de pèche, des armes, à feu ou contondants (pistolets, couteau, faucille) chargés d'évoquer les causes les plus extrêmes de l'exil, le massacre inter-ethnique, soit, d'une manière générale, le refus de l'autre.

3 - Le second cercle est composé d'une série de plaques en polystyrène, elles aussi en suspens, desquelles ont été extraites des formes préalablement découpées de personnages en marche ou en situation d'exil. Le dos est peint dans des techniques différentes pour évoquer la diversité des pays d'origine. L'autre face, tournée vers le centre, est laissée en blanc afin de rendre compte de la marche vers cet inconnu auquel les êtres vont devoir s'affronter. Le polystyrène, par sa légèreté et sa friabilité, permet de donner une certaine idée du caractère aléatoire des situations et de la fragilité des vies sorties de leur environnement naturel. Par ailleurs, la suspension cherche à montrer que ces vies sont dans un entre-deux permanent (géographique, linguistique, existentiel). Un seul personnage demeure statique en apparence, tout en répondant aux critères de l'exilé. Accumulées contre un cercle tracé qui symbolise la frontière, des chutes de papier jonchant le sol, et sur lesquelles ont été peintes des plantes de pieds nus marquées d'une flèche tournée vers le centre, ont pour but de rappeler des foules en errance et en demande d'accueil.

4 - Le troisième cercle figure en quelque sorte le pays de destination, le monde des Blancs, le monde " idéal ", le monde " libre ". Un cadre de porte peint en blanc, travaillé comme une guillotine, fait référence à la Révolution et aux droits de l'homme, lesquels ont été trahis dès le départ en négligeant les esclaves et les femmes, comme aujourd'hui ils trahissent les immigrants en quête de sécurité et de respect, moyennant une perte schizophrénique de leur identité. La " lame " (un tableau sur plaque d'aluminium coupé en travers et comportant sur l'arrière resté vierge le mot OFPRA) est liée par un ruban rouge à un personnage pendu tête en bas comme en train de voler, et tenant un instrument à corde exotique (le kamantcha). Il s'agit d'évoquer l'étranger, être flottant par excellence, qui apporte à son pays d'accueil un message de nostalgie et de prière, aussi universel que la musique, et qui oblige ainsi ce même pays à trouver un sens à sa culture par le dépassement de ses peurs et de ses égoïsmes. Des bouteilles de lait et d'eau, un livre, suspendus eux aussi, sont chargés de dire une fois de plus que l'exilé vient chercher des satisfactions élémentaires à ses besoins physiques et culturels.

5 - Au pied de cette guillotine, se tient une crèche, toute blanche aussi, référence à notre mythologie judéo-chrétienne, Jésus représentant l'exilé par excellence. Par ailleurs, la connotation biblique permet de renvoyer au personnage d'Adam chassé du Paradis terrestre et éternellement en quête de ce quelque chose qui comblerait sa perte. Enfin, la crèche est le lieu même de la paix, un foyer d'amour rayonnant sur les siècles. La présence de la guillotine permet de mettre en valeur la transcendance de ce message. Le noir du tissu et le blanc de la crèche et de la guillotine rappellent l'échiquier, symbole du jeu aléatoire et de la situation indécise de l'exilé.

6 - Une source sonore diffuse, sur un fond de musique extra-ordinaire (le kamantcha) et de bruits lourds (les rouleaux de lavage de voiture), des textes composés d'une phrase sur l'exil ou sur la patrie, d'un témoignage de réfugiés et, entre les deux, d'une composition qui prend ses mots dans l'un et dans l'autre. Ces textes d'ailleurs ont été lus et enregistrés par des gens d'ici dans le but de mêler les temps, les hommes et les histoires. Écrits en blanc sur de grandes feuilles noires et tapissant les murs, ils rappellent là encore, mais aussi à travers leurs mots, le jeu de l'échiquier et de l'incertitude.

J'ai demandé à Gaguik Mouradian, kamantchiste, de jouer au sein de cette installation, lui qui a pris le risque de l'exil pour nous apporter le message intemporel de la musique.

Voici quels textes sont affichés sur les murs, écrits en blanc sur de grandes feuilles noires.

 

retour à EXILS-EXPO