Erevan for rêveurs (29)

 



Il était près de onze heures, ce matin du 1er mars, quand je suis arrivé en taxi aux abords de la Place de la Liberté. Mon chauffeur m'avait prévenu qu'elle avait été nettoyée cette nuit et que le quartier devait être inaccessible. En effet, la Place était circonscrite par un cordon de policiers empêchant tout accès. Cette nuit-là, environ mille personnes dormaient sous des tentes dans l'enceinte de la Place. C'étaient des manifestants venus des différentes provinces pour participer aux meetings qui y ont lieu quotidiennement depuis le vote du 19 février. Il n'était pas 6 h 30, quand des policiers ont fait irruption dans les tentes, battant leurs occupants, en arrêtant d'autres. A l'heure où nous écrivons ces lignes, Vartan Oskanian aura présenté à la télévision cette intrusion policière comme pacifique, mais en butte à une forte hostilité, alors que les 31 blessés - dont six éléments des forces de l'ordre -, les tentes incendiées, les destructions et les dégâts tout à fait visibles, les images vues sur la chaîne H2 montrent au contraire avec quelle brutalité ont eu lieu ces interventions. La désinformation étant le propre de ce régime, la télévision va exhiber des barres de fer, des grenades, des cocktails Molotov et même des armes de poing pour justifier sa répression. Vers neuf heures du matin, des étudiants passant du côté de la Place de l'Opéra auront vu des policiers battre trois personnes jusqu'au sang. Faute de pouvoir s'approcher, des témoins de la scène auraient crié leur dégoût et leur désapprobation concernant les sauvageries policières.


Dans la nuit, vers trois heures du matin, Lévon Ter-Petrossian qui dormait avec ses partisans depuis plusieurs nuits Place de la Liberté, fut reconduit chez lui et gardé en résidence surveillée. Il aura rejeté catégoriquement toute proposition de coalition avec le pouvoir, contrairement à Arthur Bagdassarian, dont l'accord de collaboration aura démontré sa collusion avec les autorités, comme l'avait déclaré Ter-Petrossian.


Vers midi le gros des manifestants s'était porté devant l'ambassade de France, occupant toute l'avenue. Il était barré par un bus de la police. Très vite des policiers anti-émeutes sont venus s'interposer entre ce groupe et d'autres qui venaient de tous côtés. Ces éléments des forces de l'ordre n'avaient visiblement pas vingt ans et ressemblaient à des enfants égarés, qu'on avait habillés en policiers pour on ne sait quel carnaval. Ils ont d'abord constitué un mur comme les légions romaines avec leurs boucliers transparents, prêts à recevoir l'assaut. Mais comme la journée était exceptionnellement belle et que le soleil de midi commençait à frapper dur, ils ne sont pas demeurés longtemps en situation fermée. D'autant qu'à ce moment-là, les manifestants restés à l'écart ont osé s'approcher, leur criant qu'ils devraient avoir honte de s'apprêter à taper sur leurs frères.


Vers deux heures de l'après-midi, la foule avait nettement pris de l'ampleur et les cris d'hostilité battaient leur plein. Un camion à eau anti-émeutes était prêt à l'action. Peu à peu, on a vu des manifestants grimper sur le bus avec les photographes, agiter un drapeau et tendre une banderole dont le texte permettait de lire que la victoire était acquise.


En effet, le camion venait de se retirer et les policiers anti-émeutes s'étaient regroupés pour évacuer les lieux à leur tour.


Alors un grand cri de victoire a parcouru la foule.


J'ai été frappé par la détermination des gens, une hostilité viscérale envers le gouvernement en place. Pourquoi ? Parce que leur vote leur aura été volé. D'autres me donneront l'impression qu'ils auraient été violés dans leur liberté fondamentale de citoyens. Lévon Ter-Petrossian est leur dieu, certes. Mais il ne fait que dire tout haut et de manière juste, appropriée et circonstanciée ce que tous ces Arméniens ruminent depuis dix ans. On a crié : Serdjik assassin ! Même si d'autres manifestants exhortaient les uns et les autres à la modération. Des hommes et des femmes ont créé avec leur corps un cordon " sanitaire " pour contenir la foule, même si à la longue policiers et manifestants échangeaient des paroles…

 

 


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Photo : Denis Donikian