Ara Baliozian ou l'anti-culture arménienne.(II)

Publié sur http://www.yevrobatsi.org le : 16-09-2004

Envoi du 12 Septembre 2004

La foi est quelque chose qui se produit dans les coeurs, les esprits, et les âmes des hommes. Ce que je critique n'est pas la foi mais ces religions organisées et le pouvoir qu'elles en tirent ; et le pouvoir reste le pouvoir indépendamment de son contenu physique ou métaphysique.
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La foi peut se situer au-delà de toute critique, mais pas les religions organisées, la politique et le pouvoir.

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George Orwell : " Le langage politique est destiné à rendre vraisemblables les mensonges, respectables les meurtres, et à donner l'apparence de la solidité à ce qui n'est que vent. "

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Ceux qui s'opposent à la critique font de la critique pour autant qu'ils critiquent toute objection parce que leurs convictions seraient au delà de toute critique, surtout s'il n'y a aucune preuve positive que leurs convictions soient vraies.

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Chaque système de croyance est également une critique aussi bien qu'un rejet de tous les autres systèmes de croyance.

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Les critiques et les dissidents ne sont pas populaires parce que ceux qui parlent au nom de Dieu ou de la vérité n'aiment pas être montrés comme des vendeurs de " vent ".

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Les chrétiens ont traité d'hérétiques ceux qui les critiquaient et les ont brûlés. Les bolchéviques ont traité leurs trotskyites de réactionnaires bourgeois et de contre-révolutionnaires et les ont fusillés. Les musulmans ont traité leurs infidèles de chiens et de blasphémateurs et les ont exterminés.

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Même les chefs religieux qui prêchent l'amour, sont capables de haine quand on leur demande de renoncer à leur monopole sur la vérité, au même titre que leurs adeptes détestent d'avoir à abandonner leur sentiment de supériorité, car il leur permet de se considérer comme des Élus et de voir le reste du monde comme des citoyens de seconde zone, ou même des détritus moralement inférieurs.

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Dans ce sens, on pourrait dire que tous les systèmes de croyance sont des manières de déshumanisation par des hommes de leurs prochains. Pour flatter le moi collectif d'une minorité (et toutes les religions sont des minorités), ces systèmes déshumanisent la majorité.

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Les efforts de réconcilier les systèmes de croyance, comme ceux déployés par Aldous Huxley dans son livre, " Philosophie éternelle ", et par Toynbee dans le dernier volume de son " Étude de l'histoire " , ont été ignorés, parfois même ridiculisés. Qui se souvient aujourd'hui des nobles efforts de Gandhi, même si ce fut seulement sur le plan sémantique, pour élever l'athéisme, opposé à la religion, au statut de religion véritable ?

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Quant à leurs contributions positives des religions les voici : considérez le destin d'un citoyen respectable qui n'a rien fait d'autre que de servir son prochain pendant des années, mais qu'en raison de circonstances imprévues, ou d'une conjonction d'expériences chargées d'émotion, il soit amené à commettre un crime. Rattrapé, arrêté, interrogé, il est reconnu coupable et puni. Sa situation au sein de la communauté est détruite. Il est déshonoré. Il devient un paria. Considérez maintenant le cas de l'Église catholique et de ses papes aussi nombreux qu'ils étaient corrompus. Quelles conséquences cela aura-t-il pour la papauté ? De quel poids ont pesé sur le christianisme et sur l'Islam leurs innombrables crimes qui ont provoqué des millions de victimes innocentes ?

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À ceux qui disent que les abus provoqués par les individus ne devraient pas être attribués aux institutions dont ils dépendent, je demande si ces mêmes abus n'étaient pas commis au nom de ces mêmes institutions ? Au cas où l'on persiste à affirmer que ces institutions ne peuvent nous faire aucun mal ou qu'elles sont au delà de toute critique, est-ce à dire que celui qui montre ces abus est un blasphémateur, un idiot, un fou, dont les idées sont dangereuses, négatives et antisociales ?

Envoi du 15 septembre 2004

Pour apprécier les absurdités de l'histoire telle qu'elle est enseignée à des millions d'enfants pleins de confiance, considérez la version qu'un Turc donne de l'histoire arménienne. Une fois, j'ai entendu un historien turc dire qu'il n'y avait jamais eu une chose comme une nation arménienne. Des Turcs chrétiens, peut-être. Mais jamais de Nation arménienne. Il s'en suit que parler du génocide arménien, c'est parler du Génocide d'une entité qui n'existe pas.

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Dans son livre, LE CODE de DA VINCI, Dan Brown expose le côté noir du christianisme. Après avoir dit à ses lecteurs que son livre contredit tout ce qui a été enseigné, il ajoute que l'histoire a été toujours écrite par les " vainqueurs (qu'il s'agisse de sociétés et de systèmes de croyance ayant vaincu les autres et leur ayant survécu) ". De sorte que, si nous cherchons à savoir ce qui est vrai, nous devrions nous demander : " Dans quelles mesures l'histoire est-elle historiquement fiable ? "

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Les Hindous traitent leurs vaches avec plus de respect qu'ils ne traitent leurs intouchables. Je voudrais bien lire une histoire de l'hindouisme écrite par un intouchable, ou une histoire des États-Unis écrite par un Indien d'Amérique ou un Noir. À moins que naturellement vous ne considériez le témoignage d'un raciste américain bien plus valide que celui d'un Noir.

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Les systèmes de croyance dont l'idée centrale est la pitié peuvent eux aussi être impitoyables envers ceux qui les critiquent.

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Après avoir réduit au silence et affamé nos auteurs les plus doués, nos commissaires culturels disent : " Nos auteurs sont des médiocres. "

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Un voyou me dit une fois : " Les livres ne parlent que du passé. Je suis plus intéressé par l'avenir. " Il pense sûrement à son prochain coup, pensais-je.

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La nature semble partagée en deux : nous avons deux yeux, deux oreilles, deux bras, deux jambes, et un double langage.


Envoi du 21 septembre


"L'Arménie est une expérience ratée, me dit un jour un ami, et écrire pour des Arméniens est une perte de temps. " Avait-il raison ? Je n'en suis pas sûr. La raison pour laquelle je continue à écrire pour des Arméniens, c'est que, en tant qu'opprimé, je préfère écrire pour des opprimés, et s'ils sont doublement opprimés, je préfère écrire pour ces gens doublement opprimés. Étant donné que, si vous ne le saviez déjà, il s'avère justement que nous avons été opprimés non seulement par la barbarie turque et l'hypocrisie occidentale mais également à cause de l'incompétence de nos propres dirigeants.

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Considérez nos révolutionnaires de la fin du siècle dernier: ils savaient que les massacres étaient fortement probables, mais, ils n'ont pas eu de plan B. Ils ont pu avoir un plan B pour eux-mêmes (comme dans la prise de la banque ottomane) mais pas pour les civils. Et ils auraient dû avoir non seulement un plan B, C, D, et E mais également X, Y, et Z. Mais le fait est qu'ils n'en avaient pas. Et ce qui devait arriver arriva.

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Considérez maintenant notre situation actuelle. Quel est leur plan B, ou, en l'occurrence, le plan A, pour enrayer l'exode hors de la patrie et l'assimilation de la Diaspora - deux processus continus qui ont été décrits comme des "massacres blancs" ? Encore une fois, ils peuvent avoir un plan B pour eux-mêmes, comme ils l'ont fait la première fois... où après avoir survécu aux massacres, ils ont publié de copieux mémoires dans lesquels ils se sont dépeints comme des héros qui ont consacré leur vie au service de la nation. Comment expliquer leurs échecs ? Élémentaire, mon cher Watson. Ils ont blâmé l'Ouest pour son double langage (comme s'il n'y avait jamais eu d'époque dans l'histoire où l'Occident n'aurait pas utilisé le double langage) et les Turcs pour leur disposition sanguinaire (comme si cela aussi était arrivé par surprise)

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Parler un double langage : c'est de cette façon que les Indiens d'Amérique ont décrit tous les hommes blancs longtemps avant nos massacres. Ce qui nous conduit à penser que nos propres chefs ne savaient pas ce que les Indiens avaient appris avant eux. Pourquoi devrions-nous être étonnés quand un diplomate turc de haut rang, pour avoir dit à M. Bush père, durant une visite à la Maison Blanche : " Les Arméniens sont nos Indiens " voulait signifier par là : " si vous avez essayé d'exterminer vos Indiens, dès lors pourquoi ne devrions-nous pas exercer le même droit pour ce qui se passe chez nous ? " Et " si vous pouvez utiliser un double langage, pourquoi pas nous ? "


Traduit de l'anglais par Denis Donikian.

© Copyright Yevrobatsi pour la traduction.